vendredi 16 novembre 2012

Le lycée des Flandres à la découverte de la mine à Lewarde

Il faut "rouvrir ches fosses au mitan d'el Cité", écrivait, à le fin des  années 70, le poète-mineur de fond André Hecquet.

La question a été très clairement posée , mardi 13 novembre dernier, au Centre Historique Minier de Lewarde, par le guide, ancien mineur de fond, qui a présenté l'univers de la Mine à deux classes du Lycée des Flandres.

 

Près de 70 élèves, scolarisés en Seconde Watt et en Seconde Gauss, bénéficient d'une introduction à l'univers de la culture ouvrière du Nord/Pas-de-Calais, dans le cadre de l'Accompagnement Personnalisé qui leur est proposé par leurs professeurs.

En effet le thème retenu pour l'accompagnement personnalisé des élèves de ces classes, tel que défini par Madame BRUNNER, Madame BEUN, Madame LOUCHART, Monsieur FLAMENT et Monsieur FONTAINE est intitulé "La mémoire ouvrière dans le Nord Pas de Calais".

La langue et la culture polonaises, flamandes, picardes sont des témoins de cette imprégnation particulière à notre région : en témoignent les interventions concernant la Pologne de Madame Bernadette GORA, le 2 octobre, l'intervention à propos de la langue et des traditions flamandes de Monsieur Christian GHILLEBAERT le 11 décembre prochain, et l'accueil de l'écrivain picard Pierre DELANNOY le 5 mars 2013.

C'est le pays minier, son travail, sa langue, ses coutumes, ses drames qui leur a été présenté ces dernières semaines, approche pédagogique qu'est venue conclure une "descente" à la fosse Delloye de Lewarde, dont témoignent  ces photos prises sur le site, et le poème de Jules Mousseron.

 

Souv’nir ed grève Souvenir de grève

El Berger, frèr’ dé m’ grand’mère, Le berger, frère de ma grand-mère,

Qu’in appélot « l’ sot », naguère, Qu’on appelait « bêta » naguère,

Parc’ qu’il avot trop d’esprit, Parce qu’il avait trop d’esprit,

M’a conté c’ curieux récit : M’a fait ce curieux récit :

Les carbonniers sont in grève ; Toute la mine est en grève,

L’ nuit est calme aux invirons ;  La nuit est calme aux alentours,

Mais bin avant qu’all’ s’achève Mais bien avant qu’elle ne s’achève

Les port’s randoull’nt dins l’ coron. Les portes claquent dans le coron;

Ch’est l’ patroull’ qu’in organisse. C’est la patrouille qu’on organise:

Les mineurs doiv’nt, au signal, Les mineurs doivent, au signal,

Impêcher les non-grévisses  Empêcher les non-grévistes

Dé s’ rindre à l’ fosse au traval. De se rendre à la fosse, au travail.

In buque à m’ volet, in m’nomme; On frappe à mon volet, on m’appelle.

J’ n’ai point l’ temps d’ boire em café, Je n’ai pas le temps de boire mon café

Et j’ m’in vas avec d’aut’s hommes Et je m’en vais avec d’autres hommes

Vers eun’ foss’ loin dé m’ cité. Vers une fosse loin de mon quartier ouvrier.

Longtemps, longtemps in chémine, Longtemps, longtemps on chemine

Les voyett’s à travers camps. Par les sentiers, à travers champs.

Les feux des coulé’s d’usine  Les lueurs des hauts-fourneaux

Nous font des ombres d’ brigands. Donnent à nos ombres l’allure de brigands.

V’là l’ fosse infin, v’là l’ carcasse Voilà la fosse, enfin,Voilà la carcasse de roues des chevalets.

Des moulett’s, in grève aussi. Elles sont en grève, aussi.

Bintôt, des gendarm’s nous chassent Bientôt, des gendarmes nous chassent

Et nous éparpill’nt ainsi. Et réussissent à nous éparpiller.

In s’arforme, in s’injurie, On reforme le groupe, On s’injurie

Et ç’ jeu-là dur’ tant et pus ;  Et ce jeu-là dure tant et plus

Aux rar’s non-gréviss’s, in crie :  Aux rares non-grévistes, on crie :

« Fainéants ! roufions ! vindus ! »  « Fainéants, jaunes, vendus ! »

L’ boucan continu’ d’ pus belle,  Le vacarme continue de plus belle

Sans trop d’arnicroch’s tout’fos.  Toutefois, sans trop d’anicroches.

Mais j’ n’ai point mingé d’pus l’ velle Mais moi je n’ai rien mangé depuis la veille,

Et j’ sins m’ vintr’ qui colle à m’ dos. Et j’ai l’estomac dans les talons

J’ n’ai pas eu l’ soin d’ prindre eun’ croûte, Je n’ai pas songé à prendre un casse-croûte

Busiant d’êtr’ ténu moins qu’ cha. Pensant être retenu moins longtemps :

Ch’est eun’ mauvais’ faim sans doute, C’est une mauvaise faim sans doute,

J’ sus tourniche et m’ coeur s’in va. J’ai le vertige, ma tête tourne.

Un méchant m’ pouss’ sur un gosse Un méchant me pousse sur un gosse

Vêtu d’ ses loqu’s ed mineur. En bleu de travail.

Ç’ galibot veut gagner l’ fosse, Cet apprenti mineur veut se rendre à la fosse,

I-arrêt’ près d’ mi par malheur. Il s’arrête près de moi,  par malheur :

J’ brise el cordiau del mallette Je brise le cordon du petit sac

Qu’i porte attachée à s’ cou. Qu’il porte attaché à son cou,

J’ vol’ ses deux tartin’s complètes ; Je vole les deux tartines toutes préparées,

Puis j’ disparais comme un fou. Et je disparais comme un fou.

C’t’ action n’ mé paraît point dure ; Cette action ne me paraît pas dure

Dins m’ délire i m’ faut minger,  J’ai le délire, il faut que je mange.

Et l’ briquet d’ fromache et d’ burre  Le repas froid de fromage et de beurre

S’lon m’n instinct va m’ soulager. Je le sais d’instinct va me soulager.

Derrière eune haïur’ voisine,  Derrière une haie toute proche,

Jé m’ much’ pou minger tout seu.  Je me cache pour manger tout seul

Fiévreus’mint, j’ouvr’ les tartines ;  Fiévreusement, j’ouvre les tartines :

Mais qu’est-ç’ qué j’ vos là, mon Dieu ! Mais qu’est ce que j’aperçois, mon Dieu !

L’ dram’ m’apparaît comme un rêve, Le drame m’apparaît comme un rêve

Comme eun’ douloureus’ vision :  Comme une douloureuse vision.

L’ galibot n’ peut point fair’ grève,  L’apprenti ne peut pas faire grève

Y-a trop d’ misère à s’ maison !  Il y a trop de misère à la maison

S’ pauv’ briquet mé l’ dit tout d’ suite : Son pauvre repas froid me le dit tout de suite

L’infant n’avot pou s’ tiot biec L’enfant n’avait, pour son petit bec,

Qu’un minc’ morciau d’ carott’ cuite  Qu’un mince morceau de carotte cuite

Rétindu su du pain sec !  Etalé sur du pain sec.

Galibot, t’ vis cor, j’espère.  Apprenti, tu es encore en vie, j’espère.

Au souv’nir dé ç’ vol ed pain, Au souvenir de ce vol de pain

Pardonn’, parc’ qué j’ sus grand-père, Pardonne, parce que je suis grand-père

Pardonn’, car j’avos si faim !  Pardonne, car j’avais tellement faim !